Suspendu au plafond, un poisson-lune empaillé flotte dans les airs. L'énorme poche qu'il a sous la gorge et qui lui sert à respirer lui fait comme un monstrueux double menton ; tournant sur lui-même au bout d'un fil, il darde vers les invités d'inexpressifs yeux de verre.
La pièce est brillamment éclairée ; si on prêtait l'oreille, on entendrait, par-delà les bavardages, le bruit de la mer. Un invité s'esclaffe, et se tourne vers moi, un verre à la main.
Que c'est drôle, me dit-il. Je regardais ce tableau, que je trouvais plutôt pas mal. Et puis figurez-vous... Ah, ah, je viens de m'en rendre compte : c'est un Matisse.
Je souris et m'éclipse.
Quand je reviens, un quart d'heure plus tard, il n'a pas changé de place. Une fille auprès de lui l'écoute raconter : ah, ah, ... et puis je viens de me rendre compte que c'est un Matisse.
Au dessus de nous flotte le poisson-lune, enflé, indifférent, avec ses yeux de verre.