On commémore les trente ans de la fin de guerre au Viêt-nam, et le retrait des troupes américaines. Images d'archives : des gens se précipitent dans le ventre d'hélicoptères sur le point de décoller ; des gens courant en pleine panique, tirant par la main des enfants qui peinent à les suivre ; des hélicoptères qui décollent et s'éloignent, l'un après l'autre.
Ensuite, Bill Clinton descend d'un avion. Il serre des mains chaleureusement, agite la sienne dans un geste amical. Pour la première fois depuis trente ans, un président américain est reçu sur le sol vietnamien. Toujours souriant et chaleureux, Bill Clinton disparaît derrière les vitres teintées d'une longue limousine noire.
Puis le reportage se poursuit quelque part dans le sud du pays. Un endroit où a été créé une institution financée par un vétéran américain, le Village de l'Amitié, ça s'appelle. Dans cette région aussi, il y a eu la guerre. On voit des images d'avions militaires larguant une cargaison indéfinie et le commentaire parle de ce qui s'est passé ici, autrefois. L'Agent Orange. C'est un défoliant, l'Agent Orange, les américains l'ont utilisé là, pendant la guerre, pour faire disparaître la végétation sous laquelle s'abritait la guérilla. C'était autrefois. Aujourd'hui, à la place de tout ça, on a le Village de l'Amitié. C'est un joli nom. Presque aussi joli qu'Agent Orange, qui fait film d'action ou bande dessinée, quelque chose à mi-chemin entre la Marque Jaune et l'agent 007.
Dans le Village de l'Amitié, une femme tape sur un tambour, à l'extérieur d'une grande maison, sur une terrasse dominant des jardins. Arrivent alors, de loin, à travers les jardins, des enfants qui se rendent à l'appel du tambour. Ils viennent à l'école, dit le reportage, et on voit la maîtresse. Puis on voit les enfants.
Certains sont sourds, précise le commentaire. Les autres... Il n'y a pas besoin de commentaire en ce qui les concerne. Les autres ont des yeux qui leur sortent de la tête, des moignons avec deux doigts en pince à la place des mains ; un torse convexe, avec des creux, des bosses et des saillies inattendues sous l'étoffe. Il y en a de profondément débiles. Il y en a qui sont le cinquième enfant d'un couple, le cinquième enfant anormal.
L'Agent Orange, toujours actif, trente ans plus tard.
Au Village de l'Amitié, on leur apprend à lire, si c'est possible, et sinon on leur apprend à faire des fleurs en papier crépon, puis des bouquets avec ces fleurs.
A une petite fille au visage entièrement boursouflé et dissymétrique, on demande si elle est contente d'être là, plutôt que dans sa famille. Bien sûr, elle est contente, parce qu'ici, il y a les autres, explique-t-elle en montrant les enfants contrefaits.
Alors, bien que cela aille sans dire, je tiens cependant à l'affirmer nettement. Les défoliants qui, trente ans plus tard font pousser des enfants difformes dans le ventre des mères : je suis contre.