Je vais seule au cinéma. Je m'installe au dernier rang, entre deux couples d'allure paisible, de façon à ce qu'il reste une place libre de chaque côté de celle que j'occupe. Un petit territoire neutre, entre eux et moi. Au cinéma, la présence d'un corps inconnu contre le mien, les conflits pour la possession de l'accoudoir, tout ça m'empêche de jouir pleinement du film.
La séance va bientôt commencer. La salle n'est qu'à moitié pleine. Deux femmes arrivent, la cinquantaine voyante, parlant fort. Elles repèrent les places inoccupées de part et d'autre de mon siège.
Ca ne vous dérange pas, dit l'une d'elle en faisant un geste de la main pour m'inviter à me décaler. Cette question est de pure formalité, elle s'engage déjà dans l'allée entre les fauteuils.
Tension perceptible de la part des deux couples. Adieu la tranquillité, adieu l'espace neutre. Adieu les accords tacites de non-dérangement mutuel.
Si, je dis. Si, ça me dérange. Et du geste, je montre qu'il reste de nombreuses places inoccupées, côte à côte, quelques rangs plus bas. Regain d'espérance de la part des couples.
Les femmes insistent.
Je me carre dans mon fauteuil, et je réitère ma réponse. Désarçonnées par cette résistance inattendue, elles battent en retraite vers d'autres places inoccupées.
Seule au milieu du territoire que j'ai défendu, je savoure ma victoire, tandis que les couples m'adressent des regards reconnaissants. Le Chevalier Noir est un assez mauvais film. N'importe. Je sors du cinéma galvanisée.