Ils sont là devant moi, nombreux, agités, agressifs. Ils se tortillent sur leur chaise, se murmurent des choses à l'oreille, puis ricanent ostensiblement en regardant dans ma direction.
Je sors de mon cartable un paquet de copies, le premier de l'année. Le brouhaha diminue d'un cran. J'ai les mains moites, la voix mal assurée.
Une année entière en perspective. Comment vais-je faire ? Je n'avais encore jamais vu ça, leurs écritures heurtées, les lettres malhabiles, les lignes de guingois. Les phrases bancales, suées avec une peine visible sur leurs copies chiffonnées. Les mots jetés dans le désordre. Non, jusqu'ici, je n'avais encore pas vu ça. Au moment de les affronter, un découragement sans borne m'envahit.
Je vais devoir endurer leur fureur et leur déception à la vue des notes - forcément mauvaises. Je vais subir leurs sarcasmes, leur bruit, leur insolence, leur mauvaise volonté au quotidien toute une année. Où trouver le courage pour cela ?
Je commence, parce qu'il le faut bien. Une heure de cours à traverser, autant dire un océan. Voilà, dis-je, la voix mal assurée. Devoir difficile. Sujet pas toujours bien compris. Expression maladroite.
Un garçon assis au premier rang, au crâne rasé et au regard scrutateur m'apostrophe.
Vous êtes déçue, madame, c'est ça, hein ? Ben dites-le. On vous a déçue ?
Silence dans la classe.
Le temps qui passe goutte à goutte. Le regard intense rivé sur moi.
Mais au contraire, dis-je avec conviction. Pour un début, c'est pas mal du tout.
Etre ou avoir été
Marianne 3 : le retour