Aux Editeurs, un café qui se trouve au métro Odéon.
Comme tous les jeudis, en compagnie de Claude et Catherine, mes amies, je suis assise à une table ronde devant une tasse de thé et mon cahier.
Une fois par semaine, nous nous réunissons pour nous lire ce que nous avons écrit, et pour un temps d’écriture en commun. Une façon que nous avons trouvée de partager l’écriture.
A la table voisine de la nôtre, un groupe finit de déjeuner. C’est un déjeuner d’affaires, à l’évidence, car on s’y voussoie. Il y a deux hommes d’âge mûr ; ils ont tous deux parlé à voix haute et sonore, et deux personnes plus jeunes, dont je n’ai pas entendu la voix. Tandis que Catherine et Claude se concentrent sur leur page blanche, et ce qui s’y inscrit, je ne peux m’empêcher de prêter attention à leurs échanges, d’entendre les mots qui, de temps à autres, fusent jusqu’à notre table. « Date de parution » « plan média » « je suis certain que mon ami Jean-Paul… » Bientôt, je sais avec certitude qui est qui dans ce quatuor. Il y a deux ténors, l’éditeur et l’auteur, et deux figurants, le directeur commercial et l’attachée de presse. Je devine quel était l’objet du déjeuner : il s’agissait de mettre au point la parution du nouveau livre pour la rentrée prochaine, celui dont l’auteur et l’éditeur espèrent beaucoup. Tout le monde se lève. L’éditeur et l’auteur se congratulent mutuellement ; le déjeuner s’est bien passé, les voilà satisfaits l’un de l’autre, des accords trouvés. Chacun rassemble ses affaires. L’éditeur a sorti sa carte bleue, demande une facture à la serveuse.
Il s’avise alors de notre présence silencieuse, trois femmes d’âges divers penchées sur leur cahier, les stylos qui noircissent progressivement la page blanche. Il se penche alors à l’oreille de son auteur : « Attention mon cher, méfiez-vous ! La concurrence est à l’œuvre ! Je crois qu’elle sera rude !» L’auteur se retourne vers nous et éclate d’un grand rire qui assure l’éditeur de son assentiment.
Ils passent devant nous, riant toujours. Claude et Catherine ne tournent même pas la tête, ne s’aperçoivent pas de leur présence, de leur ironie, occupées à écrire, immergées dans le bonheur d’écrire. L’écriture, disait je ne sais plus qui, ce n’est peut-être qu’une façon d’avoir toujours le dernier mot.