Sur le chemin de la crèche, à dix heures du matin, ma fille à la main, sa trottinette dans l’autre. Au coin de la rue du faubourg Saint-Martin, elle s‘immobilise. Du doigt, elle me montre, l’air émerveillé, ce qu’elle vient d’apercevoir : un chien ! Quelle aubaine !
Nous nous en approchons puis, selon le protocole que nous avons défini, nous nous arrêtons à cinquante centimètres. Une patte levée, le chien, un fox à poils durs, urine contre un muret.
Au bout de la laisse, un homme de dos. « Bonjour dis-je, de ma voix enrouée. Ma fille peut-elle caresser votre chien ? » Ce n’est pas seulement une autorisation que je demande, mais aussi l’assurance que l’animal est sociable. L’homme se retourne :
« Comment ? » demande-t-il. C’est un trentenaire d’un blond roux, suffisamment séduisant pour pouvoir être négligé. Le genre à qui la barbe de trois jours et le cheveu hirsute vont à merveille. Je répète ma question. Autour de nous, le vacarme de la rue. J’ai beau forcer ma voix, ce que je dis est couvert par les automobiles qui démarrent au feu, les moto pétaradant, les coups de klaxons de ci, de là.
« Je n’ai pas entendu » répond-il, cette fois sur un ton franchement agressif. Il a compris que je parle de son chien, et s’attend à une remarque désobligeante au sujet des déjections canines. Pour la troisième fois, je pose ma question, cette fois dans une miraculeuse minute de silence urbain. « Mais bien sûr ! » s’exclame-t-il en réponse, tout surpris.
Ma fille se penche, sa petite main frictionne le dos du fox, qui en frétille de joie, de la tête à la queue. L’animal lève vers elle des yeux enfoncés et brillants. Ma fille le regarde, puis lève vers le jeune homme un sourire extasié. Le jeune homme la regarde, puis se tourne vers moi en se passant la main dans les cheveux. « Excusez-moi, dit-il. Vous savez, à l’heure qu’il est, je ne suis pas encore bien réveillé.»
Respectabilité