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Friedrich Heinze de Rendsburg


Je me souviens du printemps 1983, du plan de Lübeck
déniché dans un ouvrage de Jean Delumeau, des lectures
dʼAlexandre Koyré et de Thomas Kuhn. Et je rêvais dʼune
série de récits coperniciens. Il nʼy en eut quʼun

(http://www.lesmarges.net/files/bfda9b47596dda08059606f9e0353ba6-721.html ).

Voici à quoi aurait ressemblé le second si jʼavais tenu
parole.

http://landkarten-ausstellung.de/SonderStadtansichten/DN1652nah.JPG

Rendsburg

( http://landkarten-ausstellung.de/zStadtansichten.html )


Friedrich Heinze de Rendsburg rêvait enfant des merveilles
du monde. Plus tard il lut assidûment les récits quʼen avait
faits Marco Polo et rencontra quelques-uns des aventuriers
de son temps. Il se mit en chemin le 8 mai 1650, à la
conquête des pays du levant, avec lʼespoir démesuré de
rejoindre lʼhorizon et saisir en leur langue les légendes de la
terre.
Il fit une première longue halte sur la rive droite de lʼOder,
surpris par le sabir que parlaient les autochtones, une langue
en quinconce qui avait bien un lointain air de famille avec la
sienne, mais quʼil comprenait à peine et de travers. Il passa
tout lʼhiver à en faire façon, cʼest-à-dire à sʼy glisser et à la
faire sienne. Il y parvint au printemps de lʼannée suivante et
sʼy trouva si bien quʼil demeura sur les rives du fleuve une
année encore à deviser avec ceux qui sʼy étaient établis. Il
nota quelques-uns des nombreux récits quʼon lui fit. Il ne leva
le camp et ne continua son chemin que lorsque les cigognes
blanches installèrent leur nid sur les hauts clochers des
villages de Silésie.
Cʼest à la fin du mois de mai que Friedrich reprit donc son
havresac et marcha sans compter en direction de la mer
Noire, jusquʼà lʼhiver qui engourdit les innombrables bras du
delta du Grand Fleuve où il fit halte. Les moeurs avaient
changé, les yeux des femmes lançaient dʼautres feux et les
brumes paressaient certains jours jusquʼau soir. La langue
aussi, un sabir encore, mais un sabir de sabir qui établissait
sa grammaire en dʼautres lits, faisait entendre des chants
inouïs et creusaient des paysages éblouissants qui nʼavaient
rien à voir – ou si peu – avec ceux du Schleswig quʼil avait
laissés derrière lui. Il sʼarrêta là une paire dʼannées, sʼy
acclimata. Il apprit la langue, écouta les histoires tandis que
la neige tombait comme jamais sur le delta.
Il reprit la route un printemps en laissant derrière lui les
terres quʼil avait apprivoisées, une langue et des gens quʼil
avait aimés.
Pour disposer de lʼinconnu et des mots obscurs qui
lʼaccueillaient au détour des régions où il fit halte, il lui fallut
chaque fois déployer une attention nouvelle : nouvelle
grammaire, nouveau lexique pour nommer les choses,
écouter les épopées, demander un morceau de pain et
goûter aux chants de la terre. Il suivit saison après saison la
pente des langues, leur thalweg ou leur relief, sʼéloignant
ainsi toujours plus de la sienne dans le berceau de laquelle il
était né, tant et si bien quʼil la perdit de vue et en fut comme
desséché. Il voyagea ainsi en direction du levant, par terre et
par mer trente ans durant avant de se retrouver aux portes
de Rendsburg où demeuraient ceux quʼil avait quittés.
Ne restait ceint autour des reins du vagabond quʼun peu de
maigreur avec un havresac vide et des lambeaux de
souvenirs, quelques mots et un rien de bonheur, une béate
ignorance en contrepartie de lʼénigme qui ceinture la terre.
Les hivers et les printemps qui suivirent son retour ne lui
suffirent pas pour apprivoiser la langue dont il sʼétait éloigné.
Il demeura le restant de ses jours dans son pays pour y voir
clair, faire façon de la langue la plus étrange, la plus
extraordinaire, la plus inconcevable qui, à mesure quʼil en
déchiffrait des pans, enfouissait plus profondément ses
secrets.
On raconte que lʼhomme de Rendsburg aima comme au
premier jour la femme quʼil avait quittée autrefois, cette
femme quʼil ne reconnut pas et qui lʼaima elle aussi, une
seconde fois pour la première fois.

 

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