C’est dingue », me dit Catherine B, réalisatrice, avec laquelle je bois un verre au café La Bulle. « Chaque fois que je finis un film, je pense que ça y est, c’est bon, que j’ai prouvé ce que j’avais à prouver et que désormais, tout sera plus facile. Les contrats vont s’enchainer, mes films se feront plus facilement… Et pas du tout. C’est toujours pareil : la croix et la bannière pour décrocher le moindre truc.»
Assise devant ma tasse de thé, je hoche la tête en silence. Je vois très bien ce qu’elle veut dire, je vis exactement la même chose. Mais je le vis avec moins d’amertume que par le passé.
Autrefois, quand mes textes étaient refusés par des revues, quand mes manuscrits étaient refusés par les éditeurs, je voyais là la douloureuse confirmation de ce que je ressentais par ailleurs : ma nullité en tant qu’auteur. Si j’avais été un écrivain, pensais-je avec tristesse, les autres s’en seraient rendu compte, ils se seraient rués sur mes nouvelles, auraient publié mes romans avec empressement. Dans la vision que j’avais alors du monde, les écrivains, les vrais, étaient nécessairement choyés et reconnus tandis que les faux, dont je faisais partie à mon corps défendant, les wannabe, ceux qui rêvaient en vain de le devenir se voyaient impitoyablement rejetés en marge par l’œil exercé, le jugement infaillible des lecteurs des maisons d’édition et passaient leur temps à se débattre avec des problèmes minables issus du quotidien.
Ensuite, j’ai lu le Journal confisqué, de Mikhail Boulgakov, sur lequel je suis tombée un jour par hasard à la bibliothèque. Boulgakov est l’immense auteur de deux textes inoubliables : le Maître et Marguerite et les Mémoires d’un jeune médecin. Et qu’écrit-il dans son Journal ? De mois en mois, il déplore le fait que ses nouvelles sont refusées, que ses lettres aux éditeurs demeurent sans réponse, que ses romans restent inédits. Il passe son temps à combattre des difficultés épouvantablement concrètes : la façon dont il va payer son loyer et s’acheter de nouvelles chaussures*.
Cette lecture a été pour moi profondément éclairante, à défaut d’être consolatrice. J’y ai lu que, contrairement à ce que j’avais cru jusque là, les échecs, les refus, le parcours aride de celui qui se confronte à l’indifférence du monde ne sont pas en contradiction avec le fait d’être écrivain. Bien au contraire, ces épreuves constituent peut-être l’essence même du parcours d’un créateur. Il y a des exceptions, certes, des auteurs qui connaissent rapidement le succès et la reconnaissance. Mais pour la majorité des auteurs, quel que soit leur talent, le parcours est semé d’embûches, de raisons de se décourager. L’accepter pour aller de l’avant.
Ecrire : affronter les rebuffades et persister tout de même. Se confronter à l’indifférence annihilante des lecteurs, des éditeurs et des attachées de presse. Continuer, encore et toujours, faire entendre sa voix, malgré la surdité du monde.
*Boulgakov vit dans une société communiste, ce qui est une circonstance aggravante, mais ne change pas fondamentalement la donne.