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« Mais comment font les auteurs ? Les vrais, ceux qui publient des livres ? » m’a demandé récemment, avec désespoir, une jeune femme venue en atelier aux prises avec un projet de roman. Elle avait écrit une quarantaine de pages, en avait raturé la majeure partie, trouvait cela épouvantablement difficile et hésitait à s’avancer davantage dans un projet qui lui paraissait insensé, dans une entreprise qui dépassait ses forces de beaucoup.

« Mais comment font les auteurs ? » Sa question sous-entendait que « les auteurs » ceux dont les livres étaient publiés, disposaient certainement de trucs et d’astuces leur permettant de surmonter les difficultés, qu’ils devaient avoir une méthode pour découvrir des synopsis tout prêts de roman, et des manières de les rédiger sans douleur. Cette jeune femme était venue en atelier pour apprendre ces trucs et ces astuces et se désolait de ce que je ne les lui enseignais pas.

Les livres que nous admirons sont comme les cathédrales que nous considérons avec émerveillement, tant leur architecture semble relever du prodige. Une fois ôtés les échafaudages grâce auxquels elles ont été édifiées, on se demande légitimement comment il a été possible de créer des édifices si solides et si aériens. Quel être prodigieux a pu concevoir l’abside, la nef et les arcs-boutants.

Pourtant, tu n’aurais pas la naïveté de croire que les cathédrales se sont élevées dans la joie, la facilité et sans efforts. Pourquoi t’imagines-tu qu’il en va autrement des œuvres de l’esprit ? Comme les bâtisseurs, les écrivains nettoient leurs œuvres de tout ce qui a servi à les mettre sur pied ; ils effacent leurs traces, les marques de l’effort et des tâtonnements successifs. Seuls demeurent les textes aboutis, achevés, miracle d’architecture, prodige de grâce et de légèreté, que tu contemples toi aussi, désespéré : « Comment font les auteurs ? »

Je me souviens d’un conte zen qui raconte l’histoire d’un vieux maître et de son disciple, cheminant de nuit dans une montagne escarpée, sous une pluie battante. Tandis que le maître avance sans mot dire, pas après pas, dans l’obscurité, le froid et malgré les pierres qui jalonnent la montagne, le disciple s’inquiète.  Le maître avait parlé d’un chemin pour traverser la montagne, mais voici déjà des heures qu’ils marchent parmi les broussailles et les rochers. Assurément, ils sont perdus. A la fin, perdant patience, perdant espoir, perdant confiance, le disciple s’exclame : « Maître, où est le chemin dont vous m’avez parlé ? Y arriverons-nous bientôt ?

-          Nous y sommes » répond le vieux maître sur un ton placide, en continuant à marcher de son pas régulier. Nous y sommes. »

Comment font les auteurs ? te demandes-tu. Ils font comme toi. Exactement comme toi. Ils sont passés par le même chemin abrupt, semé de doutes, de fatigue, d’effort  que toi. Cela ne se voit pas dans leur texte, mais si tu lis leurs carnets, tu en seras bientôt convaincu. Ils sont passés par ce même chemin que tu empruntes, et tu ne risques pas de le manquer, parce qu’il n’y en a pas d’autre.

Ceci est un extrait de Mon livre en cours : Proust, Duras et toi (à paraître en septembre 2010, aux Carnets de l'info)
Rimbaud vs Rambo
Prométhée et toi

Tag(s) : #mes chroniques
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