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Cécile s’écoute parler et se regarde écrire. Dans son texte, mille circonvolutions, mille coquetteries. « Regardez comme j’écris bien ! » semble-t-elle dire à chaque phrase. Elle est persuadée qu’on ne peut être qu’ébloui par sa capacité à jongler avec les mots ou avec des nuances de sentiment qu’elle juge très raffinées. Quel que soit son sujet, son texte est littéralement envahi par sa présence, elle y intervient constamment, fait admirer ses performances, surenchérit sur ce que le texte raconte ou exprime. Quand je la questionne, elle rejette une mèche de cheveux en arrière. « Je ne sais pas si vous pouvez comprendre ce que je veux dire » annonce-t-elle avec un sourire confus. Le groupe la contemple, exaspéré. « Nous allons essayer » dis-je. Ce qu’elle exprime est d’une si grande finesse et en même temps d’une telle profondeur qu’elle doute : d’autres qu’elles sont-ils capables de le percevoir. ? Si on lui dit que son texte est obscur, elle triomphe : elle entend dans cette objection la confirmation de sa supériorité.

Tu l’as compris, son écriture n’est pas le lieu d’un échange possible entre elle et le lecteur, c’est un miroir dans lequel elle contemple sa propre image, émerveillée. Ce défaut porte un nom : la complaisance, qui est, nous apprend le dictionnaire, « un sentiment de satisfaction que l’on éprouve par orgueil ou par indulgence envers soi-même ». C’est un défaut très courant chez ceux qui commencent à écrire. En général, il disparaît avec le temps, mais il arrive aussi qu’il persiste. L’auteur complaisant est d’ailleurs persuadé que les réserves qu’on exprime sur son texte ne peuvent être qu’inspirées par l’envie. Il ne les écoute pas, n’en tient pas compte. Ca ne l’aide évidemment pas à progresser.

Un jour où on lui demandait son avis au sujet des œuvres de Nanni Moretti, Dario Argento, autre grand réalisateur italien, a eu cette phrase cruelle : « Quand je vois un de ses films, j’ai tout le temps envie de dire : « Eh, Nanni, pousse-toi un peu, que je voie le film ! ». Il est certain que Moretti, qui tire explicitement de sa vie personnelle la matière de ses films, qui les écrit, les réalise, et joue dedans le rôle principal, occupe une place parfois écrasante dans son œuvre.

La complaisance, c’est cela : partout, dans le texte, en surimpression, le visage suffisant de l’auteur masque ce que le texte a à dire. J’espère que personne, jamais, n’aura envie de te suggérer : « Pousse-toi un peu, qu’on voie ton texte ».

A tout hasard, dans un but préventif, tu médites la phrase de Rivarol : « Plus d'un écrivain est persuadé qu'il a fait penser son lecteur quand il l'a fait suer.»

Tu gardes aussi en mémoire cette remarque attribuée à Mozart à propos d’un de ses propres concertos : « C’est brillant, mais ça manque de pauvreté. »

Ceci est un extrait de Mon livre en cours : Proust, Duras et toi (à paraître en septembre 2010, aux Carnets de l'info)

La venue de l'été

Le vieux maître et le disciple dans la montagne

Tag(s) : #écrire - dit-elle
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