"L’art, c’est la contemplation. C’est le plaisir de l’esprit qui pénètre la nature et qui y devine l’esprit dont elle est elle-même animée. C’est la joie de l’intelligence qui voit clair dans l’univers et qui le recrée en l’illuminant de conscience. L’art, c’est la plus sublime mission de l’homme, puisque c’est l’exercice de la pensée qui cherche à comprendre le monde et à le faire comprendre."
Ce livre est injustement ignoré, me semble-t-il, peut-être en raison de sa forme parfois désuette : les questions et réflexions du journaliste encombrent la page par moments. Mais ce que Rodin y dit de son travail, de sa conception de la création, reste somptueux et offre matière à réflexion à tous ceux qui créent, qu'ils soient plasticiens ou écrivains.
Jugez vous-mêmes :
"Il n’y a de laid dans l’Art que ce qui est sans caractère, c’est-à-dire ce qui n’offre aucune vérité extérieure ni intérieure.
Est laid dans l’Art ce qui est faux, ce qui est artificiel, ce qui cherche à être joli ou beau au lieu d’être expressif ce qui est mièvre et précieux, ce qui sourit sans motif, ce qui se manière sans raison, ce qui se cambre et se carre sans cause, tout ce qui est sans âme et sans vérité, tout ce qui n’est que parade de beauté ou de grâce, tout ce qui ment."
"Il en est du dessin en art comme du style en littérature. Le style qui se manière, qui se guinde pour se faire remarquer, est mauvais. Il n’y a de bon style que celui qui se fait oublier pour concentrer sur le sujet traité, sur l’émotion rendue toute l’attention du lecteur.
L’artiste qui fait parade de son dessin, l’écrivain qui veut attirer la louange sur son style ressemblent à des soldats qui se pavaneraient sous leur uniforme, mais refuseraient d’aller à la bataille, ou bien à des cultivateurs qui fourbiraient constamment le soc de leur charrue pour le faire briller, au lieu de l’enfoncer en terre.
Le dessin, le style vraiment beaux sont ceux qu’on ne pense même pas à louer, tant on est pris par l’intérêt de ce qu’ils expriment.
Il n’y a réellement ni beau style, ni beau dessin, ni belle couleur : il n’y a qu’une seule beauté, celle de la vérité qui se révèle. Et quand une vérité, quand une idée profonde, quand un sentiment puissant éclate dans une œuvre littéraire ou artistique, il est de toute évidence que le style ou la couleur et le dessin en sont excellents ; mais cette qualité ne leur vient que par reflet de la vérité.
Pour ceux qui souhaitent le lire sans l'acheter, le texte entier disponible à la lecture ici :
http://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99Art_(Rodin)/Texte_entier